
UN PEU DE NOUS
"Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant" (Jacques Brel)

Si mon identité n'a que peu d'importance, sachez quand même que je me prénomme Christian et que je viens d'entrer dans la soixante-cinquième année de mon existence. J'ai eu, pendant plus de quarante-trois ans, le privilège, le bonheur de vivre avec une femme merveilleuse.
Nous nous sommes beaucoup aimés, faisant continuellement attention l'un à l'autre, en
agrémentant chaque jour de petites attentions, de mots d'amour, chacun veillant à privilégier l'autre avant son propre confort, ses propres envies.
Chaque jour je l'ai complimentée pour sa beauté, son élégance, sa féminité, sa cuisine, le soin apporté à nos enfants et exprimé ma gratitude pour l'attention qu'elle me témoignait. Chaque jour elle m'a remercié pour ma gentillesse, ma patience, pour mon amour.
De plus, une fidélité réciproque, une franchise totale de l'expression de nos pensées et
sentiments ont généré la confiance bénéfique et nécessaire à notre bonheur. Nos quelques différents ne concernaient que l'éducation de nos enfants (trois fils) comme pour chaque couple je crois. Un père doit parfois faire montre d'autorité face à une maman, trop permissive, sans pour cela avoir, l'un ou l'autre, toujours raison.
Il est ici inutile pour moi (et surtout pour vous) de m'étendre plus encore à propos de nos sentiments mais notez encore que notre vie commune fut, trop souvent, parsemée de chagrins, de difficultés diverses et innombrables, d'épreuves plus dures les unes que les autres et, malheureusement, de deuils cruels. Seuls cet amour et celui partagé avec nos proches, parents et enfants, nous ont permis de surmonter tous les obstacles, resserrant plus encore nos liens affectifs.
Il me faut préciser aussi qu'une solide dose d'humour, je dirais même de folie, a toujours fait partie de notre quotidien: Rire des mêmes choses, sourire des mêmes mésaventures, partager les mêmes plaisanteries, veiller toujours, aussi quand tout va mal, à mettre de la bonne humeur, envisager l'avenir avec optimisme (même si ce peut être, parfois, complètement utopique) permettent (en tout cas pour nous) de mieux faire front à l'adversité et de rester unis et aimants.Vint le désespoir!

Je suppose, après la lecture de ces quelques lignes, que vous comprenez aisément
l'immensité de mon chagrin et la profonde détresse qui furent miens dès l'annonce de sa maladie et de son verdict sans appel.
Elle fut pour elle émaillée de terribles douleurs, de situations vexatoires, de privations inutiles. Une bataille que l'on savait, elle y compris, perdue d'avance contre un "putain" de cancer du pancréas, devenu très vite cancer généralisé.
Ce mal l'emporta sans que jamais elle ne se plaigne. Sacrée bonne femme qui toute
sa vie durant avait, en société, étalé un orgueil parfois étouffant préférant le silence à l'apitoiement, le sourire aux pleurs.
Ces quelques semaines furent horribles. Je me sentais d'une inutilité presque coupable. Avec pour seules armes, ma présence continuelle, mes mots d'amour. Mais comme le dit très bien Francis Cabrel dans sa chanson "Elle disait": "Même mes sourires lui faisaient peur".
Puis une nuit, comme un couperet, vient la séparation définitive.
S'installe alors et pour longtemps la plus terrible des souffrances: Celle de l'absence
irrémédiable. C'est le temps des questionnements, de la solitude intérieure. Un chagrin
incommensurable prend possession de votre cœur, de votre esprit, il envahit
tout votre être.
Les paroles de la chanson "Les vieux" de Jacques Brel prennent alors tous
leurs sens:
"Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer"