RENDEZ-VOUS SUR UN BANC

Ce 29 mai 2014, jour de l'Ascension, c'est la fête dans notre bonne petite ville d'Ath. Comme elle le fait depuis quelques années, la maison culturelle organise, dans les rues du centre ville, le festival "Sortilèges, Rue et Vous" qui, comme son nom l'indique, propose, toute l'après-midi de ce jour férié, différents spectacles joués par des compagnies plus ou moins petites, plus ou moins professionnelles, avec plus ou moins de succès.

Nous déambulons, Rose-Marie et moi, au gré de nos envies, de notre curiosité; il fait bon et il y a du monde. L'ambiance générale est gaie et très chaleureuse. Certains numéros sont moqueurs et joyeux, d'autres proposent des acrobaties de très belle facture. Les enfants ne sont pas oubliés et ils rient bruyamment, amusés par des clowns farceurs qui déambulent dans la foule prêts à toutes les facéties. Et comme toujours, lors de ce genre de festivités, les estomacs ne sont pas oubliés et nous en profitons raisonnablement. 

Malheureusement pour nous, il y a beaucoup trop de monde sur les terrasses des cafés, pourtant nombreuses, toutes sont bondées depuis longtemps et, malgré notre persévérance, il nous est impossible de trouver deux places de libre pour nous reposer quelque peu.

Vers la fin de l'après-midi, nos pérégrinations nous amènent dans le bas de l'esplanade où, malgré le monde encore présent, un banc entièrement vide nous attend. Enfin, quelle chance, de pouvoir reposer quelque peu nos jambes. Rose en profite de suite pour se déchausser et les pieds nus posés sur ses chaussures, elle soupire d'aise, le visage radieux. Au loin, sur le terrain du jeu de balle, de nombreux spectateurs font un triomphe au spectacle d'acrobatie en cours.

- Ca fait du bien de s'asseoir un peu, j'en avais envie depuis longtemps.                                           - Moi aussi, tu n'as besoin de rien?                        - Non, j'aurais aimé que les enfants soient avec nous mais on est bien ici, tous les deux.              Je prends sa main.                                                   - Moi aussi, je suis bien. Tu as été courageuse, toi qui te lasses vite de ce genre de spectacle, merci de m'avoir suivi dans la foule sans ronchonner.

- Non, c'était agréable. J'ai bien aimé, surtout quand nous sommes rentrés dans la cour de mon ancienne école. Elle n'a pas changé, ça a ravivé de nombreux souvenirs fait de sauts à la corde, de jeux de la marelle ... tu sais, j'étais une véritable championne.                                         - Moi aussi, étant gamin, j'ai toujours beaucoup aimé ce jeu ... tu te rappelles au début de notre mariage, on y a parfois joué dans la cour de la maison de la rue Isidore Hoton, j'entends encore nos rires. Tu sais, j'ignorais complètement que dans cette cour d'école, une vierge trônait au dessus de cette jolie grotte reconstituée.                                                                           - Oui et elle était déjà là quand je suis entrée en première primaire ... elle non plus, n'a pas changé. Montre moi la photo (prise avec mon GSM). Oui, c'est bien ça, elle est exactement comme dans mes souvenirs de petite fille.

Rose est radieuse, souriante, si belle. Nous ne savions pas encore que dans quelques jours .....

25 mai 2017, jour de l'Ascension.

Je passe une partie de la journée avec l'ainé de mes petits-enfants, il fait très chaud. Après un tour rapide des différents spectacles proposés par "Sortilèges, Rues et Vous" nos pas nous entrainent vers le Séquoia, la plaine de sports où se déroule un tournoi de mini-foot sur herbe. Malgré la présence de Bertrand, de Lucas, de mon neveu Steve et de quelques amis, je me lasse très vite de l'endroit. En cette journée, je ne me plais nulle part!

Je n'ai, secrètement, qu'une seule envie, être seul et retrouver ce banc où nous avons, elle et moi, partagé un très beau moment de tendresse. L'un des derniers sans aucun nuage, sans crainte de l'avenir! Cette envie de solitude je ne peux décemment pas l'exprimer, ils sont tous si gentils avec moi, si attentifs.

Vers dix-sept heures, je suis enfin (je sais, ce n'est pas bien d'écrire ça) seul dans mon appartement. Je me remémore avec nostalgie cette belle journée passée avec elle en regardant des photos dont celle de la statue de la Vierge Marie prise dans la cour de l'école ... le chagrin m'envahit plus encore!

Chaque jeudi, je suis invité à partager le repas du soir chez Fabrice et sa belle petite famille. Comme c'est aujourd'hui un jour de fête, mais surtout parce que j'ai prévu d'aller m'asseoir sur "notre banc", je les ai prévenus de mon arrivée vers dix-neuf heures au lieu des dix-huit habituelles prétextant qu'ils pourraient, eux aussi, profiter ainsi plus longtemps de l'ambiance festive.

Dix-huit heures

Je me dirige lentement vers le centre ville situé à deux pas de chez moi.

J'ai décidé de refaire à l'identique la fin de notre promenade. D'abord la Grand-Place puis, via la rue du Pont Quelin et la rue des Hauts Degrés je rejoindrai l'esplanade et le banc de mes doux souvenirs.

Sur la place, côté Hôtel de Ville, les "Facteurs d'Amour", compagnie tournaisienne, sont en représentation: Douze comédiens prennent des airs de géants avec un aplomb inhabituel, offrant une parodie de leurs vrais grands frères, héros incontestés et incontestables de nos "ducasses", ceux- là même qui culminent tout au sommet de notre folklore régional. Entre les différentes haltes, les bras ballants, puis par des cocasseries soudaines sur des musiques improvisées, ils vont jusqu'à s'enhardir à quelques pas de danses, agrémentés de baisers frontaux.

Un nombreux public, l'air enchanté, suit leurs élucubrations et déambule au pas de ces "poupées".

Je me dirige vers un autre spectacle où l'avantage d'être assez grand me permet, de derrière une très nombreuse assistance, de voir évoluer des acrobates.                                            L'heure avance vite et il est maintenant temps pour moi de rejoindre notre lieu de rendez-vous. 

Et oui, en ce "Jour Saint", j'espère un signe, quel qu'il soit!

Rose sait, je n'en doute point, que j'irai m'asseoir sur "notre" banc et que très fort, lors de ce rendez-vous, je me sentirai au plus près d'elle et elle de moi ... enfin je l'espère de tout mon être.

Je quitte la place par le chemin prévu mais je me retrouve directement bloqué derrière de nombreux badauds, spectateurs amusés des "géants" qui, eux aussi, remontent maintenant vers l'esplanade.                                                                                                                                  Zut alors!                                                                                                                                     

J'essaie de passer mais d'évidence, il me faut prendre mon mal en patience car la foule occupe l'entièreté de la largeur de la voierie et ce y compris les trottoirs pas très larges, il est vrai. Soudain, tout ce petit monde s'arrête net à la hauteur de la terrasse de la petite brasserie installée en haut de la rue, à quelques mètres à peine du coin débouchant sur l'esplanade. Là, une "géante" s'amuse à boire et même à vider le verre d'une consommatrice confortablement installée. Les gents rient de plus belle! Par une trouée entre les tables montées sur tréteaux, je me faufile et parviens à dépasser tout ce petit monde ... je vais, enfin, pouvoir rejoindre mon havre d'espérance et d'amour ...

C'est alors, qu'à ce moment très précis, la troupe des comédiens entonne la chanson Rose-Marie (air majeur de notre folklore local), non, ils ne la chantent pas vraiment, ils la fredonnent simplement et c'en est d'autant plus émouvant.

Moment magique, cadeau merveilleux!

Pourquoi devrais-je douter de l'origine de ce signe merveilleux qui m'a été, je n'en doute pas un instant, particulièrement adressé. Nous étions là des dizaines, voire des centaines, à cet endroit et à ce moment précis.

Le "hasard" aurait choisi de me faire entendre cette chanson alors que je me dégageais enfin de cette troupe pour te retrouver à quelques pas seulement, sur notre banc alors si proche. Non, pas le hasard ...

Je m'éloigne les yeux embués par l'émotion, un sourire sur les lèvres et le cœur empli d'amour pour toi.

Mieux encore, malgré le monde toujours présent, malgré la foule qui déambule encore sur l'esplanade, "notre" banc est là, vide, n'attendant que moi ... que nous!

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